26ème jour
48°47 S – 53°16 O

Evénement majeur à bord : le skipper a changé ses chaussettes !

Autre événement, un navire de croisière « l’Island Princess » en provenance des Bermudes a rebroussé chemin pour nos beaux yeux alors qu’un chalutier – que nous pensions être des pirates – nous a bien fait stresser au large du Chili. Encore plus important, des réparations sur la grand-voile ont été effectuées donc plus besoin de nous arrêter aux Falklands. Nous nous dirigeons lentement direction Nord vers les vents contraires de l’Atlantique Sud.

Le changement de chaussettes est survenu après 3 semaines de port constant de la même paire, jour et nuit. J’irais même jusqu’à dire qu’elles ont pris vie et qu’elles ont elles-mêmes sauté par dessus bord, encouragées par l’Association des résidents de l’Océan Atlantique Sud. Et, bien qu’elles aient parfaitement rempli leur office durant ces 3 semaines, le bonheur d’enfiler une nouvelle paire fût presque érotique.

 

Tout comme eux, j’ai porté les mêmes chaussettes pour me tenir chaud avant de les jeter… de toute manière, je suis quasiment sûr qu’elles n’auraient pas été retenues pour la récolte de chaussettes orphelines du Souffle du Nord pour l’association Sock en Stock.

Aucune perte majeure à déclarer donc lorsqu’elles sont passées par dessus bord.
Etant biodégradables, elles seront rapidement absorbées par l’océan. Ce qui ne sera évidemment pas le cas de mes autres déchets, deux sacs pour le moment, qui seront correctement recyclés une fois à terre.

Mais retour à la navigation : après l’euphorie du passage du Cap Horn, reprise du travail avec quelques réparations sous un temps quasi idéal. Pour cela nous sommes restés abrité pendant presque deux jours au large de la côte de la Terre de Feu. L’océan était beau, riche en vie sous-marine et en énormes morceaux d’algues à la dérive… Qui se sont malicieusement enroulés autour de la quille et des safrans. Pas facile à enlever mais une petite marche arrière m’a bien aidée.

Bien qu’elle ne soient pas très esthétiques, les réparations de grand-voile seront j’espère très solides. Seul ce fût un travail très difficile d’enlever la voile de la bôme et la rapiécer. Souvenez-vous qu’une des lattes cassées et ses bouts tranchants, secouée dans tous les sens par le vent, avaient fini par trouer la voile de 2 grand trous et 8 petits.

Heureusement les dégâts n’étaient pas structurels, et j’ai pu réparer la lourde voile en la cousant et y mettant des patchs consolidés par du Sycaflex, un adhésif très flexible. Un problème => Une solution trouvée !

Grâce à des amis d’amis, j’ai été mis en relation avec le maître de port de « Port Stanley » dans les Falklands. Par bonheur, je n’ai pas eu besoin de m’y arrêter pour faire des réparations. En effet, l’arrivée de mon bateau de 60 pieds en solitaire dans un port commercial comme celui-là aurait aussi été source de quelques risques.

Fidèle à l’esprit du Vendée Globe, je veux dans la mesure du possible être en complète autonomie et faire toutes les réparations moi-même à bord. Grosse pensée et remerciements à Maxime et Pierre-Antoine pour leur excellent travail de préparation du bateau et de son équipement.

Nous avons donc dépassé les Falklands.
Pour de multiples raisons, j’aurais aimé les visiter et surtout voir comment ils s’en sortent depuis leur annexion par l’Argentine en 1982… Et que Margareth Thatcher n’envoie un groupe armé pour finalement les récupérer après 2 mois de combats.

Le souvenir de cet épisode historique est toujours ancré dans ma mémoire.
C’était fascinant de suivre cette grande guerre maritime à l’époque. Tout s’était joué au ralenti car la riposte à l’invasion avait été préparée pendant des semaines avant de naviguer vers les Falklands. Si les Anglais ont toujours la main sur les îles et que la plupart des habitants veulent rester britanniques, l’endroit reste toujours source de conflit avec l’Argentine depuis maintenant près de 200 ans.

Aujourd’hui 35 ans plus tard, les îles ont leur propre gouvernement avec l’aide de l’Angleterre pour la Défense et les Affaires étrangères. A l’échelle mondiale, les Falklands ont la 222ème plus petite économie sur 229 pays existants. Par contre, leur revenu annuel moyen, s’élevant à 96.000$ par habitant, relève le niveau en les plaçant en 5ème position. J’imagine donc que ce doit être un endroit très intéressant à visiter.

L’archipel s’est surtout développé en tant que base navale et centre de réparations, à quelques 560 kms du Cap Horn, avant que l’ouverture du canal de Panama en 1914 n’entraîne le déclin des îles jusqu’à l’invasion de l’Argentine. Aujourd’hui avec la pêche, l’élevage de moutons et l’exploitation pétrolière, la population grandit de nouveau.

Alors que je voguais vers le Nord, après les Falklands et longeant la côté d’Amérique latine, mon alarme anti-collision s’est déclenchée un matin tôt : un navire apparaissait au loin et se dirigeait droit vers moi. Me rappelant les histoires de pirates hispaniques, j’angoissais. Tout ce que je pouvais faire était de mettre en route le moteur auxiliaire et préparer mes fusées éclairantes, seul moyen de défense. A moins que je ne reste tranquille et n’essaie pas de résister ? Il se rapprochait encore et encore, quel genre de bateau était-ce ?

Je me suis inquiété pour rien, c’était juste un chalutier Chilien qui passait dans les parages et s’est rapproché de mon embarcation par ennui ou simple curiosité. Un signe de main plus tard, et un immense soupir de soulagement pour moi, et il est reparti. Pas de contact radio, ce qui aurait de toute façon été inutile vu la barrière de la langue.

Le même jour (!) et après cette 1ère rencontre maritime depuis mon départ de Nouvelle-Zélande il y a plus d’un mois, j’ai rencontré un tout autre type de visiteur : un immense bateau de croisière « l’Island Princess » venu des Bermudes. C’est un des plus grands bateaux du monde. Vu sa taille il n’avait sûrement pas pu passer par le canal de Panama et m’avait suivi depuis mon passage du Cap Horn il y a quelques jours.

Il m’a dépassé et ce fût tout… ou du moins c’est ce que je croyais.
20 minutes plus tard alors que je jette un œil dehors, je vois ce navire gigantesque immobile au crépuscule. Apparemment ils avaient fait demi-tour, toute une manœuvre pour un tel bateau, et pensaient que je devais avoir besoin d’aide… Clairement un moment embarrassant pour moi. Un peu sous le choc, j’ai attrapé ma radio et appelé le bateau sur le canal 16 pour expliquer rapidement au navire, à son opérateur radio, et j’imagine au capitaine, que tout allait bien, que je ne voulais pas leur causer de problème et que si vraiment cela n’avait pas été le cas je les aurais contacté. Apparemment cela a provoqué beaucoup d’émoi chez les passagers.

J’étais surpris qu’ils m’aient seulement remarqué. Ou peut-être était-ce à cause de mes chaussettes ?!

Ils m’ont expliqué que certains passagers m’avaient repéré et prévenu la passerelle de commandement que je pouvais être en danger. D’où la décision, un peu forcée, du capitaine de revenir sur ses pas. Ils étaient plutôt détendus à propos de cette histoire et ont repris leur route alors que nous avions une petite discussion par radio.

Un des officiers sera d’ailleurs de passage à Paris le 9 avril, et je l’ai donc invité à prendre un verre au O’Sullivan Irish Pub. J’espère bien que Tom St John, le propriétaire, paiera sa tournée !

Dans le confort de mes nouvelles chaussettes, et comme un hommage à la collection de chaussettes orphelines du Souffle du Nord, je termine cet article par une sélection de 2 expressions un peu adaptées…

« Sock it to me,
Sock it to me,
Sock it to me… »

Note du Souffle du Nord

Notre traducteur, trop bien élevé pour cela, n’a pas accepté de nous livrer la traduction de cette expression… Il a seulement daigné nous dire qu’il s’agissait d’un jeu de mot « chaussettier » avec l’expression anglaise « Suck it to me ! »
>> Cliquez ici pour voir la traduction sur Google Translate

et aussi…

« Enda, your’re a Hard Man…
Hard as socks… »

« Enda, tu es un homme bien dur…
Au moins aussi dur que tes chaussettes !!! »

Je n’ai jamais trop su si je devais prendre cette dernière expression comme un compliment ou une insulte ?!?

D’un naturel optimiste, et alors que mon bateau vogue vers mon rêve, je choisi la première solution, même si la seconde peut sembler de temps en temps plus méritée !