31ème jour
43°19 S   45°35 W

Nous sommes piégés par les conditions météo depuis des jours. Dire que je suis frustré et démotivé est l’euphémisme de l’année. Alors que nous entamions notre deuxième mois en mer, cela a atteint un tel point, qu’une partie de l’Association des Résidents de l’Océan Austral s’est vue touchée d’une sévère apathie. Elle s’est mise à discuter cannibalisme, Uruguay, rugby et d’une école devenue accidentellement mondialement connue.

Nous passons d’un extrême à l’autre. Hier nous étions bloqués dans un anticyclone apparemment interminable qui s’étendait de chaque côté, rendant notre échappatoire difficile. Et aujourd’hui, nous profitons de quelques petites brises ici et là pour, doucement et douloureusement, remonter la côté Sud-Américaine. C’est un peu comme un Pot-au-Noir sous stéroïdes qui arriverait en avance.

Il y a du boulot, beaucoup de chose à faire mais la motivation n’y est pas. Quand tout roule comme sur des roulettes évidemment le monde est génial, mais c’est dans ces moments là que nous avons besoin de garder de la force physique et mentale pour maintenir le cap.

J’ai aussi l’estomac en vrac, le mélange de thon en conserve, jus de cassis, café caramel et pommes de terre n’a sûrement pas aidé puisqu’il est ressorti de mon corps aussi vite qu’il était rentré, quel gâchis… Heureusement, plein de réserves à bord !

Voulant éviter une dépression, nous avons fait route sur l’Atlantique vers le Nord.

L’Argentine s’étend devant nous avec l’Uruguay à sa frontière dont je me rappelle bien avoir visité la capitale, Montevideo, il y a 25 ans. C’était un immense privilège que de loger à la Stella Maris School avec un groupe de Frères Chrétiens Irlandais, rencontrés grâce à un ami. Les ordres ont créé l’école en 1955 sous la responsabilité de Dublin.

Avec beaucoup d’employés, l’école était dirigée à l’époque par 8 frères à la fois, même si j’ai cru comprendre que ce nombre a bien diminué depuis, avec de moins de moins de personnes ayant la vocation adaptée. L’école avait plus de 700 étudiants, formait l’élite de ce petit pays et pour des raisons étranges était accidentellement mondialement connue.

Ironiquement elle était victime de son propre succès. Poussé par un merveilleux idéalisme, les Ordres avaient été invités par des familles locales à ramener en Uruguay le concept de chrétienté à travers l’éducation. Il s’est perdu après des successions de dictatures et le bannissement de la religion.

Stella Maris (nommée ainsi par le fondateur Frère Patrick Kelly, un grand dévoué à la Vierge Marie) était devenue une des écoles les plus prisées du pays, éduquant les familles de politiciens et grands pontes du commerce.

Après un historique plutôt turbulent, Uruguay est le deuxième plus petit pays de l’Amérique du Sud avec une population dépassant à peine les 3.4 millions, dont la moitié habitant Montevideo. Le magazine anglais « The Economist » l’a gratifié du titre de « pays de l’année » en 2013, peut-être en raison de ses lois très libérales allant du mariage homosexuel à la légalisation de la marijuana, et est l’un des pays les plus socialement développés sur le continent.

Il se place également très haut au niveau mondial grâce à ses mesures sur les droits personnels, son libéralisme économique et ses investissements en termes de croissance, d’infrastructures ou de commerce équitable.

La Stella Maris School a également été pionnière dans le développement du rugby à XV en Uruguay. Et c’est malheureusement en 1972 que l’équipe de l’école, alors à bord d’un avion d’Air Force Uruguayenne, s’écrasa dans les Andes. Après plusieurs jours de travail, l’espoir fut perdu et les recherches abandonnées.

C’est là que le cannibalisme est entré en jeu, au final une histoire de survie vraiment hallucinante. Seulement 16 passagers sur les 45 dans l’avion ont survécu après 72 jours et ils ont réussi uniquement en mangeant les morts. C’est d’ailleurs devenu le sujet d’un livre (Les Survivant : L’histoire des survivants des Andes) et d’un film.

Cela conclut l’article d’aujourd’hui : dans un monde de survie et d’aventure, il reste beaucoup de l’éducation des Frères Chrétiens dont les pensées et actions ont bien été assimilées dans l’Océan Atlantique Sud. Citant Thomas Moore je dirais :

« I’ve been told by learned Christians
That wishing and the crime are one
And Heaven punishes desires
As much as if the deed were done. »

« If wishing damned us, you and I
Are damned to all our hearts content
Come, then, at least we may enjoy
Some pleasure for our punishment »

NB : traduction libre et poétique de l’équipe du Souffle du Nord !