35ème jour Acte III
32°50 S 42°55 O


CHAQUE JOUR est un lent pas de plus le long de la côte de l’Amérique du Sud. La prochaine grande étape symbolique, 2 000 milles devant nous, sera le franchissement de l’Équateur. La température s’adoucie enfin et je peux supprimer des couches de vêtements.

Alors que nous nous rapprochons de Rio de Janeiro après être passé à 500 milles devant Buenos Aires (Argentine) et Montevideo (Uruguay), je prends conscience que c’est seulement lorsqu’on est en situation de compter chacun des milles parcourus que l’on réalise la taille énorme du Brésil.

Dans la pétole, L’association des résidents de l’Atlantique Sud a été très active, notamment avec des discussions très vives concernant l’économie et sa monnaie, sujet d’une importante inquiétude par rapport au dollar US. Mais aussi, alors que les provisions « fraîches » sont depuis longtemps épuisées, sur la mise en place d’un rationnement des sucreries qui améliorent l’ordinaire de votre skipper.

Pour nourrir mon corps cela passe par des repas qui sont maintenant presqu’uniquement composés de rations de nourriture lyophilisée, qui m’amènent toutes les calories quotidiennes nécessaires, auxquelles s’ajoute une bonne quantité d’eau fraîche, puisée dans l’océan et magiquement transformée à bord grâce à un désalinisateur et mon cocktail personnel de compléments nutritifs réactivant.

Mon esprit se nourrit d’un qui-vive constant, 24h/24 et 7J/7, assidûment en alerte. En naviguant tous les jours et toutes les nuits, à l’aveugle, il faut accepter de ne jamais savoir ce qui va arriver.

Je vis comme totalement enfermé dans ma propre bulle, dans laquelle les longues périodes d’inactivités alternent avec des moments de rushs intenses. Je pourrais tout autant être sur ce très vaste océan où dans une capsule spatiale en route vers Mars, il n’y aurait pas beaucoup de différences.

A cette pensée, et comme dirait le Magicien d’Oz, l’important n’est pas d’arriver à destination, c’est le voyage !

Etant donné qu’il n’y a virtuellement aucun système météo clair (anticyclones ou dépressions) autour de moi, il est très difficile de faire des choix intelligents pour faire aller un peu plus vite notre bateau. Et bien que je sois le seul en mer à concourir contre moi-même (accompagné de tous les régatiers virtuels sur LiveSkipper.com), mon esprit de compétition m’engage a donner le meilleur de moi-même pour performer au mieux et ainsi rendre hommage à mon bateau, ses architectes et nos préparateurs.

De la même manière qu’on ne peut pas être « à moitié enceinte », comme un véritable pur-sang de l’océan, mon Imoca 60’ « Le Souffle du Nord – Kilcullen Team Ireland » ne navigue jamais « à moitié ». Tous les jours je me rends compte du magnifique travail qu’a accompli la classe Imoca, qui a abouti au développement et à l’évolution constante de ce type de bateau pour permettre à un homme seul, sur un monocoque, d’aller aussi vite (et certaines fois plus vite) que sur un Volvo 65’ qui embarque un équipage de 10 personnes !

Les vents en journée ont tendance à être plus calmes (4 à 10 nœuds) avec quelques périodes de pétole. Chaque nuit, profitant des différences de températures entre l’air, l’océan et la côte, un vent thermique ajoute 10 à 15 nœuds aux conditions de vent.

Ma stratégie est d’essayer de rester proche de l’orthodromie(1) plutôt que d’aller chercher absolument de meilleurs systèmes météo à droite et à gauche.

Mon challenge permanent est d’essayer de faire aller à tout moment le bateau un peu plus vite que le vent en profitant du vent relatif qui est créé par le déplacement du bateau*. Par exemple avec un bon réglage d’angle par rapport au vent, on peut aller à 9 nœuds avec un vent de 6 ou 7 nœuds !

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De cette manière, en restant toujours sur le qui-vive, nous conservons notre moyenne et graduellement, mille après mille, nous avançons sur notre route vers le nord. C’est un peu plus long qu’espéré, et nous ne serons certainement pas arrivé aux Sables d’Olonne pour la Saint-Patrick (le 17 mars, fête du saint patron de l’Irlande) ou pour ma réunion de famille, mais c’est comme ça !

Le vagabondage d’esprit, en particulier celui de notre association des résidents de l’Atlantique Sud, est en très grande forme !

Il m’emmène dans un monde ou la puissance de notre monnaie virtuelle serait infinie, battrait le Bitcoin* à plat de couture, et me fait analyser le monde financier d’une toute autre manière !

Bitcoin est d’une part une monnaie virtuelle et d’autre part un système de paiement de personne à personne. En 2012, d’après la Banque centrale européenne, il s’agit du schéma de monnaie virtuelle le plus abouti et le mieux répandu, mais le considère toujours comme une commodité et non comme une monnaie.

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Je m’explique… Imaginons qu’un jour un américain richissime vienne à envisager de se loger à bord de notre bateau dans nos appartements luxueux… Arrivant un peu trop tôt, il lui serait demandé un acompte de 1000 $ qu’il verserait sans sourciller avant d’aller faire un long tour de promenade sur le pont.

A ce moment je prends l’argent et m’en sers pour payer notre approvisionnement en poisson pour 1000 $. Le pêcheur de son côté s’en sert pour payer le chantier naval qui a fait des travaux sur son bateau pour 1000 $. Ce même chantier naval, qui me devait de l’argent pour un service que je lui avais rendu, me rembourse très aimablement les 1000 $.

Tout cela s’est passé très vite et juste avant que l’américain, ayant terminé son tour du bateau, ne se ravise et décide d’aller loger ailleurs, le confort du bateau ne lui convenant pas. Il me demande alors de lui rembourser son avance de 1000 $. Ce que je m’empresse de faire…

En définitive, tout le monde aura été payé, et personne n’aura dépensé un centime… Cette histoire aura fait chauffer le cerveau de tous les membres de L’association des résidents de l’Atlantique Sud, et nous poser cette question : mais finalement qu’est-ce que l’argent ?

Historiquement l’argent était basé sur un matériau dont l’approvisionnement était limité (comme l’or par exemple) et non pas comme sur notre bateau sur « juste de l’air frais ».

Changeons maintenant d’échelle et intéressons-nous au projet de Donald Trump qui au lieu de maintenir le déficit immense des USA aux environs de 400 à 600 milliards comme cela était prévu envisage de le porter à 1000 milliards de dollars !

Comme dans notre histoire qui se base sur des dettes de chacun vers chacun, il est en train de faire maintenant la même chose avec les USA. Et un jour, lorsque nous l’attendrons le moins, la monnaie des USA, qui sera faite uniquement d’air frais, n’aura plus aucune valeur. Basée sur du rien, l’économie mondiale s’effondrera. Et les américains qui resteront toujours des américains se réinventeront, tandis que nous tous nous en pâtirons…

Ce sera sans doute un choc brutal pour le monde.

Tout comme l’ère glacière n’a pas mis plusieurs centaines d’années pour s’installer mais est arrivée très vite… Tout comme l’eau qui se refroidie, et qui en un instant se fige pour devenir de la glace, ou qui chauffe tranquillement et en un instant se met à bouillir… Chaque situation apporte des changements brutaux à l’état de l’eau. L’une vers la glace, l’autre vers la vapeur.

Il n’y a finalement pas beaucoup de différences entre les « unités de compte » de notre monnaie virtuelle ici en Atlantique Sud (l’air frais) et la monnaie des USA, basée sur du rien. Je me laisse à penser qu’une grosse tempête va surgir et que nous y sommes tous exposés. Alors préparons-nous et amarrons bien les écoutilles !

Et pour clore cette tirade je vous citerais bien une autre strophe du poème de Joseph Plunket « Wave of the Sea » :

« My soul is in the salt of the sea
The strength of the wave.
In the bubbles of foam
In the ways of the wind »

« Mon esprit est dans le sel de la mer
Dans la force des vagues,
Dans les bulles de la mousse,
Dans le chemin du vent »

NB : traduction libre et poétique de l’équipe du Souffle du Nord !

En savoir plus sur l’ORTHODROMIE

L’orthodromie désigne la géodésique (le chemin le plus court) entre deux points d’une sphère, c’est-à-dire le plus petit des deux arcs de grand cercle qui passe par ces deux points. Pour les navigateurs, une route orthodromique désigne ainsi la route la plus courte à la surface du globe terrestre entre deux points.

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