40ème jour
19°40 S – 37°31 O

La nuit dernière nous sommes passés à 20 milles de Vitoria.
Avec environ 350 000 habitants, elle est considérée selon les standards brésiliens comme une « petite ville » !
Cette proximité avec la terre était palpable, le premier signe en était les insectes attirés par la lueur de mon écran d’ordinateur et que j’ai dû chasser pour y voir quelque chose. Cela me rappelle pourquoi j’aime tant être en navigation au large. Pas d’insectes, d’infections, de bactéries, ou encore (dans mon cas) d’allergies…

Finalement, être au large est excellent pour la santé !
Alors en ce 40ème jour en mer, je vais vous partager quelques informations sur mon régime alimentaire, second pilier sur lequel je m’appuie pour garder la forme. Le troisième pilier étant l’activité physique dont je ne manque pas à bord, car il n’y a aucune possibilité d’esquiver les tours de winch et les tirages de bouts… En réalité, je pense n’avoir jamais travaillé physiquement aussi dur de toute ma vie.

Et pour le 4ème pilier mystérieux de la santé psychologique, vous savez bien tous maintenant que votre skipper se considère comme la seule personne saine d’esprit, et que toutes les autres personnes sur terre, comme tout le monde le sait, sont folles.

Aussi tentant qu’aurait pu être une escale à Vitoria (je m’interroge d’ailleurs sur le nom de cette ville… Sans doute qu’un jour quelqu’un a oublié un « c » en l’écrivant et que cette orthographe est restée), mais l’association des résidents a voté contre. Un petit tour sur Google m’ayant appris que la police locale avait fait la grève récemment, que les meurtres étaient en hausse, et que les citoyens devaient manifester pour dénoncer cela. Nous avons donc viré de bord vite-fait bien-fait vers le large pour nous éloigner une nouvelle fois de cette soi-disante civilisation.

La dernière nuit au large de Vitoria, dont je pouvais apercevoir au loin les lueurs dans un ciel sans lune, a été très éprouvante. Entre les plateformes pétrolières, les navires qui les assistent et les bateaux de pêche sans AIS, une vigilance très particulière était nécessaire. Pour combattre le sommeil, j’avais mis en place une alarme, qui sonnait toutes les 30 minutes pour m’aider à rester en alerte.

Alors que nous traversions les champs pétroliers, le tout en manœuvrant souvent pour remonter le vent, le Brésil et sa côte immense semblent sans fin. Notre objectif était de passer le cap Nord-Est de Recife. Ce serait une belle étape car à partir de ce point, les vents seront porteurs et devraient nous propulser vers l’équateur, puis à la maison…

Assez parlé des plateformes pétrolières, j’ai déjà bien approfondi le sujet dans mon dernier article. Juste une dernière anecdote, alors que je découvrais totalement l’existence de ces installations, Joan Mulloy – qui fait partie de la Team Ireland – m’a appris qu’elle en savait énormément à leur sujet. En effet elle a travaillé pour un prestataire du conglomérat brésilien qui les gère en tant que spécialiste du design informatique des pipelines qui courent sous la mer.

C’est l’occasion de vous redire que Joan a l’ambition de s’aligner pour un prochain Vendée Globe, qu’elle en a les compétences, le talent, et qu’elle mérite pour cela notre soutien ! Cette année elle est basée à Lorient en France et engagée dans une saison de Figaro en tant qu’ambassadrice des « fruits de mers irlandais » ! Elle participera d’ailleurs à une course partant des Sables d’Olonne (la ville que je compte rallier pour terminer non-officiellement le Vendée Globe) le week-end de la Saint Patrick.

Et alors que Joan représente les fruits de mer, à la surprise de certains j’imagine, je vous confirme que je ne pêche pas à bord de mon bateau. A la place de cela je me nourris d’une nourriture d’astronaute !

En fait, la grande majorité des poissons suffisamment petits pour être péchés vivent près des côtes. Plus loin dans les profondeurs il n’y a pas suffisamment de nourriture pour eux. Et de toutes façons le plus souvent nous allons trop vite, et je n’aurais pas le matériel nécessaire à bord pour en faire autre chose que des sashimis (tranches de poissons crus). Pour cuisiner à bord je ne peux que faire bouillir de l’eau.

Pour mon avitaillement en Nouvelle-Zélande, j’avais fait un voyage vers Invercagill, qui est située tout au Sud de l’Île du Sud. Là-bas, en plus d’un Pub membre de la fédération internationale des Pubs irlandais, le « Waxis », qui bizarrement appartient à un fonds local détenu par le gouvernement, il y a le siège de la société Back Country Cuisine.

Celle-ci fabrique uniquement des plats préparés conçus pour les sports d’aventure… Pour nourrir et donner des forces ! J’avais entendu beaucoup de bonnes choses sur cette société et ses produits légers et savoureux, et il me semblait important d’aller m’en rendre compte par moi-même.

Après une visite de l’usine, j’ai fait le tour de leur « carte », et je leur ai commandé 3 mois de nourriture. La préparation est ultra-simple. Je fais bouillir un peu d’eau, j’ouvre le paquet, je mélange le tout et le laisse reposer pendant 10 minutes, et c’est tout ! Techniquement ils utilisent de gigantesques fours pour extraire toute l’humidité présente dans les préparations, et les produits sont conçus de telle manière, qu’une fois réhydratés, vous obtenez un repas parfait !

Et alors que tous les produits alimentaires ont une date d’expiration, en théorie ces produits, tant qu’ils restent parfaitement scellés, n’en n’ont pas. Je me suis donc laissé à imaginer que si les produits Back Country avaient été disponibles lors des explorations antarctiques du valeureux irlandais Ernst Shackelton, il en aurait fait un excellent usage !

 

Ernest Henry Shackleton, né le 15 février 1874 à Kilkea en Irlande, et mort le 5 janvier 1922 dans l’île de la Géorgie du Sud, est un explorateur, considéré comme l’une des principales figures de l’âge héroïque de l’exploration en Antarctique et même, par un expert en leadership tel que le britannique John Adair, comme le plus grand leader civil du XXème siècle.

>> En savoir plus sur Ernst Shackelton, ça vaut le coup ! : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ernest_Shackleton

Les seuls autres aliments de base de mon régime alimentaire sont une portion de porridge tous les matins, accompagnée d’un sachet de compléments alimentaires « Revive Active ». C’est une entreprise de Galway qui les produit et je les recommande vivement ! Je ne les ai découvert qu’assez récemment et je n’ai jamais été en si grande forme !

Attention, il faut noter que mes talents culinaires n’ont jamais été fantastiques, et que je n’ai jamais eu l’habitude de manger plus que nécessaire. Comme ma capacité à me coucher et m’endormir dans n’importe quelles conditions, mon estomac est plutôt résistant à tout.

Ce qui me rappelle une anecdote que j’aimerais vous partager…

C’était dans les temps reculés de l’ère pré-téléphone-portable, lorsqu’il y a très longtemps en Irlande, la liste d’attente pour l’ouverture des lignes téléphoniques était extrêmement longue. Après ma journée de travail, j’étais tombé par hasard sur un vieil ami, Derek, et au lieu de rentrer directement à la maison retrouver ma chère épouse, nous étions allés partager une – ou deux (!) – pintes au Pub.

Un peu plus tard ce soir là, lorsque finalement nous avons quitté le Pub, j’ai invité Derek dans notre nouvelle maison pour le dîner. Je n’avais pas réalisé que depuis tout ce temps, ma « commandante en chef » m’attendait, bouillant d’impatience devant un diner romantique, pour deux, qu’elle avait pris la peine de préparer.

En arrivant, la tension était à couper au couteau. Et pourtant tout sourire, ma chère femme s’est attelée à servir à Derek le plat qu’elle m’avait préparé, et à me servir – vengeance mêlée d’humour – un plat de riz, agrémenté d’une part réchauffée de pâtée pour chien.

Sans m’en rendre compte, et me demandant comment j’allais me sortir de l’explication qui allait inévitablement suivre le départ de Derek, j’ai rapidement terminé mon diner, et ai terminé de creuser ma tombe en félicitant ma femme pour le repas… J’en ai même demandé un peu plus… Arroseuse arrosée, ma chère femme pleine de culpabilité, avait dû m’en resservir car elle voulait garder le secret tant que Derek n’était pas parti.

Heureusement de nos jours, et à bord de notre bateau, les animaux de compagnie sont interdits (à l’exception évidemment d’Adolf le singe, de Paddy le Leprechaun, et de notre petit ours).

Pout terminer dans la nuit sombre cet article de carnet de bord plein de régime, de plateforme pétrolière, et tout en sirotant une bonne pinte, je citerais Patrick Kavanagh :

« When money’s tight and hard to get
and your horse has also ran
When all you have is a heap of debt
A PINT OF PLAIN IS YOUR ONLY MAN »

« Si tes poches sont vides… que l’argent manque,
et que même ton cheval s’est enfui.
Quand tout ce qu’il te reste est une pile de dettes,
Une bonne bière sera ta meilleure amie !
« 

NB : Traduction libre et poétique du Souffle du Nord, qui ne résiste pas à vous mettre la version intégrale de cette poésie que nous avons découverte grâce à Enda !

A pint of plain is your only man – Flann O’Brien

When things go wrong and will not come right,
Though you do the best you can,
When life looks black as the hour of night –
A PINT OF PLAIN IS YOUR ONLY MAN.

When money’s tight and hard to get
And your horse has also ran,
When all you have is a heap of debt –
A PINT OF PLAIN IS YOUR ONLY MAN.

When health is bad and your heart feels strange,
And your face is pale and wan,
When doctors say you need a change,
A PINT OF PLAIN IS YOUR ONLY MAN.

When food is scarce and your larder bare
And no rashers grease your pan,
When hunger grows as your meals are rare –
A PINT OF PLAIN IS YOUR ONLY MAN.

In time of trouble and lousey strife,
You have still got a darlint plan
You still can turn to a brighter life –
A PINT OF PLAIN IS YOUR ONLY MAN.