ENFIN !
C’est pour le dimanche de Pâques, et après 66 jours de mer*, que mon but et ma destination seront en vue.

On aurait pu penser qu’après les difficultés rencontrées lors du passage du Cap Horn et l’interminable remontée des côtes du Brésil jusqu’à l’Équateur avec le vent dans le nez, il eut été raisonnable d’espérer des conditions favorables pour la toute dernière étape du parcours… mais non !

Mais avant tout, et alors que nous attendons tous avec impatience de nous retrouver très vite autour d’une superbe fête d’arrivée aux Sables d’Olonne, je souhaite dans ce dernier épisode de mon carnet de bord, remercier très chaleureusement pour leur soutien fantastique tous mes amis français : Le Souffle du Nord et l’organisation du Vendée Globe !

Impossible de tous les nommer, mais je veux remercier tout particulièrement François et Angélique Bouy, pour avoir rendu ce partenariat possible et pour être venus partager notre aventure en Nouvelle-Zélande, Maxime & Pierre-Antoine pour leur superbe travail sur le bateau lors de sa préparation, Sylvain et Sylvie pour tout leur travail sur tout le projet. Et un éloge spécial pour Marcus Hutchinson, qui en plus d’être un très bon ami est aussi un professionnel brillant qui a rendu toute mon aventure possible. Merci !

Durant ces trois dernières années, l’acquisition du bateau, l’entraînement, les qualifications et toutes les difficultés rencontrées, m’ont consumé. Le plus grand revers de tous a été mon démâtage, sur la route du Cap Horn. C’est alors que s’est présentée la merveilleuse opportunité d’un rapprochement avec Le Souffle du Nord, et la chance d’être nommé leur ambassadeur pour ramener leur bateau à la maison.

Dès que j’avais aperçu, en Nouvelle-Zélande, le bateau du Souffle du Nord après son avarie, cela avait été un coup de foudre instantané. Ça a pris un peu plus de temps, et c’est tout à fait compréhensible, au Souffle du Nord pour réaliser qu’un projet de « mariage » entre nous était sans doute une opportunité divine.

De nombreux amis, famille et supporters vont voyager jusqu’aux Sables d’Olonne pour assister à notre fête d’arrivée. Je suis certain qu’ils y recevront un accueil fabuleux. Il y aura sans doute des amis musiciens… Ils iraient n’importe où – peu importe l’importance de l’événement – pour assister à une belle fête !

Je ne suis pas sûr d’être tout à fait prêt pour cette fête d’arrivée, et pour l’honneur que la Ville des Sables d’Olonne souhaite me faire en me faisant citoyen de la ville. Cela veut-il dire que je devrai payer mes impôts aux Sables d’Olonne ?

Arriver à bon port et avoir achevé ma mission, mon rêve et mon défi est suffisant pour moi – et je serais heureux même sans une fête. Pourtant, le changement après avoir été aussi longtemps seul sera génial.

Bien qu’en solitaire sur mon bateau, nous avons vécu une aventure d’équipe, et comme un bon mariage (ou des funérailles) irlandais(es), la fête c’est pour les vivants, et pas pour les morts ! De la même manière, un mariage c’est surtout la fête pour tous, sauf pour les mariés !

Après cela, je continuerai à vivre le reste de ma vie, et j’espère bien qu’avec Le Souffle du Nord, Atlantic Youth Trust et Team Ireland, nous pourrons construire, sous une forme restant à déterminer, un partenariat long terme qui fera la promotion de l’excellence, d’aventures Franco-Irlandaises, et que nous ferons ainsi chacun notre part pour rendre notre monde un peu meilleur chaque jour !

Une dernière épreuve !

À l’approche du Cap Finisterre – la pointe nord-ouest de l’Espagne – tranquillement installé dans mon fauteuil de navigation, j’ai tout d’abord été alerté en voyant que le vent avait subitement tourné au Nord, et qu’il était monté à 40 nœuds. Il était temps de réduire la voilure, et d’enrouler le foc. Je posai un pied sur le sol, mais n’ai pas pu réprimer un juron lorsqu’à la place des bottes de mer que je m’attendais à trouver, mon pied est entré dans l’eau. Plus que tout autre chose, garder les pieds secs est critique.

« Oups, j’ai dû laisser la trappe ouverte » ai-je pensé. Mais non, c’était beaucoup plus sérieux que ça car il y avait des tonnes d’eau ballottant autour des cales. J’étais effrayé. Si près du but et pourtant encore si loin. Étions-nous en danger de couler ? À quelle vitesse le bateau s’était-il rempli ? Devrais-je faire route vers la côte ? En quelques secondes, toutes ces pensées se bousculaient dans ma tête.

Quand le bateau s’est mis à taper sur l’eau, je me suis précipité pour retrouver mes bottes. Même si elles étaient mouillées, quelque soit le problème, dans le froid, il est extrêmement important de rester protégé.

A peine avais-je posé le pied sur le pont, que le bateau est parti en empannage sauvage. Le pilote automatique n’avait pas tenu face au vent et aux énormes vagues, rendues plus courtes depuis que nous avions passé le bord du plateau océanique. Le bateau gisait sur son flanc, avec la quille inclinée dans le mauvais sens. Et le vent hurlait.

Après quelques moments de lutte, j’ai fini par reprendre le contrôle du bateau, et à le faire empanner une nouvelle fois. Cela a permis de lever le côté tribord où je suspectais la voie d’eau. Comme on dit, l’outil le plus efficace pour vider un bateau qui prend l’eau est bien souvent un homme effrayé armé d’un seau ! 20 minutes après, la majeure partie de l’eau était écopée, et la voie d’eau, qui était bien sur le bord opposé, était stoppée. J’ai pu l’identifier, elle provenait d’une valve, servant à remplir les ballasts qui s’était ouverte, et avec la vitesse du bateau, l’eau avait été aspirée.

Ainsi ce problème était résolu – pour le moment tout du moins. Ce n’était après tout qu’une des nombreuses péripéties, de celles qui arrivent régulièrement sur les machines de 60’ pieds sur laquelle j’ai eu l’honneur de naviguer durant les 2 derniers mois. Il faut être sur le qui-vive tous les jours, et on ne sait jamais quelle sera la prochaine épreuve qui se présentera.

Quelle aventure, et quel voyage cela aura été.
Le retour au monde d’aujourd’hui – espérons-le à terre – après avoir été seul à travers le stress et les difficultés mentales et physiques, ne sera pas facile.

Des extrêmes du Cap Horn à la chaleur et aux vents changeants de l’Equateur, je serais passé par toutes les gammes des émotions : des défis physiques, des peurs et de superbes moments de joie entre les deux. Il n’y a pas de logique à la logique. Jusqu’à la dernière semaine, jusqu’à la ligne d’arrivée… Comme lors du contournement des Açores et du Cap Finisterre, où une tempête, qui a traversé le golfe de Gascogne m’a obligé à rester en alerte.

Très bizarrement, c’est avec un peu de réticence que j’envisage, lorsque j’abandonnerais mon bateau, ma réadaptation à ce que l’on appelle le « monde normal ». Surtout parce que cela implique de quitter la zone de 12 pieds carrés dans laquelle je vis depuis 66 jours… c’est ma maison à présent !

Pour moi, le monde « extérieur » est devenu les océans du monde. Eux tellement gigantesques, et moi tellement infime par rapport à eux. A vivre au cœur de ces éléments et ne faisant plus qu’un avec la nature, on réalise à quel point nous ne sommes pas plus important qu’une goutte dans l’océan, et comme dit dans le Magicien d’Oz, que l’important ce n’est pas d’arriver, c’est le voyage…

Ma réadaptation perturbera sans doute, lors de mon retour à la maison, « celle à qui l’on doit obéir ». Me réveiller toutes les heures pendant toutes les nuits pour vérifier mes voiles et ma route est devenue une seconde nature, sans oublier le fait de me parler à moi-même ou de m’échapper dans l’abstrait de pensées profondes. Mais bon, tant que les personnes imaginaires à qui je m’adresse ne me répondent pas, ce n’est après tout pas si grave !

De la réadaptation encore, que de me sentir à nouveau faire partie de la race humaine. Bien que mon voyage ait été loin d’être uniquement solitaire, mais aussi un projet d’équipe, j’ai quand même, pendant toute cette période, mis un pied en dehors du monde des humains.

Pour terminer, sachez que je considère cette arrivée en quelque sorte comme un point final à mon Odyssée personnelle. Je suis maintenant prêt à signer un document qui autorise ma famille et mes amis à m’enfermer dans un donjon, et en jeter la clé, si à mon âge j’essayais à nouveau de m’engager dans un projet aussi fou.

En me projetant un peu dans le temps, ça va être génial de mettre mon énergie à soutenir Joan Mulloy, Gregor McGuckin et Nin O’Leary dans leurs projets de tour du monde. Et bien sûr de développer le projet Atlantic Youth Trust, dont la belle mission est de connecter notre jeunesse avec les océans et l’aventure.
>> Voir www.teamireland.ie et www.atlanticyouthtrust.org (en anglais).

Et qu’il s’agisse de gravir l’Everest ou de marcher seul 100 mètres, nous avons tous nos défis personnels, mais qu’est-ce que vivre si ce n’est pas s’imposer des objectifs, s’amuser, faire notre part, et avec un peu de chance réussir à laisser un monde un peu plus beau que celui que nous avions trouvé en arrivant. Nous avons tous besoin les uns des autres et ce n’est pas quand on sera mort qu’on pourra vivre !

J’ai dit !

Pour terminer, Samuel Beckett me prêtera encore ses mots tandis que je remercie encore une fois tous ceux qui ont aidé votre humble Skipper à accomplir sa « Mission Impossible »…

« It may be that my best years are gone
But I would not want them back
Not with the fire that’s in me now »

« Peut-être que mes plus belles années
sont derrière moi…
Pourtant je ne les regrette pas.
Pas avec le feu que j’ai en moi !
« 

—–

NB : Traduction libre et poétique une nouvelle fois faite par l’équipe du Souffle du Nord, qui a vécu comme un grand honneur de vous rendre accessible les carnets de bord du grand homme qu’est notre marin et ambassadeur : Monsieur Enda O’Coineen !

*Voyageant d’Ouest en Est, Enda aura perçu 66 jours de mers alors que pour nous, restés en Europe il n’en est passé que 65… Merci Mr Jules Verne de nous l’avoir si bien expliqué dans « Le Tour du Monde en 80 jours » !